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Avec The Hyènes, ça s’arrête jamais, et pourtant tout s’était arrêté depuis des mois : depuis qu’Édouard Philippe avait annoncé, le 14 mars 2020, la fermeture de tous les lieux publics « non essentiels », qu’il y avait eu les confinements, les couvre-feux, les nouveaux confinements, les nouveaux couvre-feux, les publics assis (couchés dirait Denis Barthe, le batteur), masqués, le pass sanitaire, autant de mesures importantes mais décidées à l’emporte-pièce, sans concertation, sans considération pour ce qui fait le sel d’une société, sa culture.

Ce jeudi 10 juin 2021 est donc un jour important pour le Krakatoa, SMAC bordelaise qui rouvre ses portes avec un concert de The Hyènes. Luc et moi arrivons tôt, à 14 heures : j’ai une visio avec le Centre national de la musique toute l’après-midi, et Didier Estèbe, le directeur du lieu, a accepté que je la fasse dans une des splendides loges qui font la renommée du lieu – en l’occurrence la petite loge. J’écoute tout l’après-midi mes collègues parler de musique d’un ton savant et satisfait : décalage entre les discours sur la musique et ceux qui la font, la musique, et qui sont impactés très fortement depuis le début de la crise sanitaire.

Lorsque je sors de la loge, je suis frappée par l’émotion qui a gagné l’ensemble du personnel du Krakatoa, qui redécouvre des gestes qu’un long confinement avait plongés dans l’oubli, des gestes qui les faisaient parfois pester il y a un an mais qu’ils retrouvent aujourd’hui avec un plaisir non dissimulé : installer les fûts de bière, préparer le catering pour les techniciens et les musiciens, accueillir le public. Le soleil est au rendez-vous. Pour des raisons sanitaires, le catering a lieu dehors. Moment de grâce dans la lumière douce de la fin de journée et la joie des retrouvailles. Didier a réussi à contourner les déclarations à la préfecture, il a installé une petite guinguette à l’intérieur de son enceinte, avec une billetterie pour arriver à comptabiliser les entrées et ne pas dépasser les jauges. J’échange quelques mots avec Didier, sa femme et sa fille, avec le luthier Hervé et sa femme Emma. Plaisir des discussions imprévues qui font le sel de la vie et dont nous avions été privés depuis si longtemps…

Toutes les places n’ont pas été vendues : certains ont peut-être eu peur du Covid, d’autres sont sûrement rebutés par l’idée d’être assis à un concert, et a fortiori masqués, d’autres enfin n’ont pas bien compris s’il fallait le fameux pass sanitaire et ont préféré s’abstenir. Qu’importe, le public s’installe « dans le respect des gestes barrière ».

Juste avant le concert, le trac est palpable. Pourtant, The Hyènes sont expérimentés et rompus à la scène. Je réalise à quel point les habitudes et les gestes quotidiens se perdent vite. Il faut dire tout de même, pour être honnête, qu’il s’agit pour eux d’une nouvelle expérience : à cause de la pandémie et des contraintes afférentes, The Hyènes a décidé de repenser son dernier album, Verdure, ainsi qu’une partie de son ancien répertoire, en acoustique. Guillaume Schmidt et son saxophone ont ainsi rejoint le groupe, Luc s’est mis à la douze cordes et Denis au tipi drum. Une résidence au Krakatoa au printemps, ainsi que plusieurs répétitions, dont la dernière au Studio du Manoir, a permis de peaufiner ce répertoire Covid compatible. Cette nouvelle formation et ce nouveau son unplugged constituent donc une première pour eux.

Le concert se déroule dans une chaude atmosphère. Luc casse une corde de sa guitare. Il avait bien fait d’en acheter une de rechange la semaine d’avant… Le premier rappel est précédé d’une longue série d’applaudissements du public, debout. L’émotion est palpable, pour le public comme pour les musiciens. Suivent un deuxième rappel, puis un troisième. Personne ne veut que la soirée se termine. Et pourtant il y a couvre-feu. Didier Estèbe monte sur scène pour rappeler qu’il convient d’évacuer les lieux rapidement, dans le calme et masqué. Les musiciens ont à peine le temps de faire le tour de la salle par l’extérieur que tout le monde ou presque a disparu. Tristesse de la difficulté des liens en temps de Covid.

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